Le théâtre est un reflet de la vie à travers un miroir déformant (Magazine Cîté des Arts)

Sarah Lamour dirige la Compagnie L’Etreinte depuis dix ans. Créée en résidence à l’Espace des Arts du Pradet, elle nous propose sa version du fameux Tartuffe. Entre comédie et tragédie, elle choisit de placer son Tartuffe dans l’univers des grandes entreprises. L’occasion d’apporter une mise en scène contemporaine et radicale à ce monument du théâtre classique.

Tartuffe est la pièce de Molière la plus jouée en France, comment apporter de la nouveauté à une pièce aussi connue ?

Cette pièce supporte des dizaines de points de vue de lecture différents. L’idée n’est pas d’apporter quelque chose d’inédit, mais de trouver une lecture qui soulève de nombreuses questions. Chaque metteur en scène peut apporter sa lecture de cette œuvre qui garde une part de mystère.

Pourquoi ce choix de mise en scène multimédia ?

Nous utilisons les nouveaux moyens de communication. J’ai choisi d’installer Tartuffe dans le monde des grandes entreprises familiales. Les protagonistes sont dans les mêmes bureaux, mais vont se parler par vidéoconférence ou messagerie. La pièce montre la difficulté de communiquer, l’hypocrisie entre membres d’une même famille, au sein d’un couple, entre amants. Je montre cette absence de sentiment familial qui existait dans l’univers d’Orgon, et qui peut toujours exister aujourd’hui. La mise en scène est très directe, assez inédite, on voit apparaitre des fenêtres Facebook qui s’ouvrent, se ferment. Ça ancre nos personnages dans notre époque.

L’Etreinte a fêté ses dix ans en 2017, quelle est ta vision artistique aujourd’hui par rapport à celle de tes débuts ?

Une vision artistique ne fait qu’évoluer, elle ne change pas foncièrement. Le théâtre pour moi est indissociable de la musique, de la danse, du corps. J’ai envie de spectacle vivant, de mises en scène punks, hybrides, de formes d’exploration, avec du monde sur le plateau. Nous avons toujours travaillé sur du théâtre contemporain avec des thématiques fortes : prison, sans-papiers, viol, malaise des ados. Là j’avais envie d’aborder un texte classique, en partie pour la beauté de l’alexandrin. Je souhaitais créer une pièce drôle mais pas que. Tartuffe est la plus tragique des comédies de Molière. On y retrouve l’hypocrisie, le manque d’amour, le rapport au
pouvoir, la tromperie, la séduction, l’appât du gain, la perversité. Ce sont des thèmes forts abordés à travers une mise en scène comique très abordable. Je veux que le public s’amuse et comprenne la pièce. Nous sommes deux codirecteurs complémentaires, Louis-Emmanuel Blanc et moi-même. Dix ans après notre rencontre à la sortie du conservatoire, nous savons que tout reste à faire. C’est une formidable expérience de compagnie, les rencontres sont incessantes. Sur Tartuffe, il y a douze personnes en scène, c’est incroyable. Le théâtre est un reflet de la vie à travers un miroir déformant.

Avez-vous un processus de création de mise en scène particulier ?

Il faut partir d’un texte fort, qui pose des questions sans apporter toutes les réponses. Le texte est une pâte à modeler avec laquelle on va travailler. Tout y est. Dans Tartuffe, il y a de sublimes moments, telle la déclaration d’amour de Tartuffe à Elmire. J’aime aussi le théâtre d’images, je pars souvent d’images esthétiques, j’accorde une grande importance aux lumières, à la beauté des personnages. Mes images sont très souvent inspirées par la musique, qui m’inspire décors, lumières. Là j’ai travaillé avec des chansons de Daniel Darc, qui m’ont faites penser à Tartuffe. Ce sont les mêmes enjeux, la même maladie d’amour. Parfois, je propose des scènes uniquement d’image, de musique et déplacement, sans texte. 

Publié dans le Magazine Cîté des Arts n°7 de Mars 2018 (page 13 en ligne ou directement ici) (www.citedesarts.net)